Le Zornhoff au temps des Goldenberg à Saverne
Usine d'outillage au Zornhoff © Pierre Vonau, copyright SHASE
Sur les traces d’un ancien site industriel, emblématique de la politique sociale d’une dynastie d’entrepreneurs protestants.
Au début du 20ème siècle, le Zornhoff (1200 ouvriers) est l’une des plus importantes entreprises métallurgiques d’Alsace. Son cœur de métier est la fabrication intégrée des outils à main. De 1837 à 1923, trois patrons dirigent l’entreprise. Gustave Goldenberg (1805-1871), le fondateur, est originaire de Prusse rhénane. Alfred Goldenberg (1831-1897), son fils, est le continuateur. Gustave Christmann (1861-1925), un petit-fils du fondateur, œuvre dans l’esprit de ses prédécesseurs.
Protestants par tradition familiale et par conviction, tous trois veulent la prospérité de leur entreprise mais sont aussi attentifs au bien-être matériel et moral de leurs personnels. Ils mettent en œuvre une protection sociale d’entreprise, facilitent la construction de maisons ouvrières avec potager et basse-cour, combattent l’alcoolisme au sein de l’usine, sont opposés à l’emploi de femmes dans les ateliers. Tous trois sont des bienfaiteurs des églises protestantes de Monswiller et de Saverne.
A partir de 1923, l’entreprise cesse d’être familiale. De rachats en restructurations, elle subit des turbulences économiques sur fond de désindustrialisation jusqu’à sa disparition à la fin des années 1980. Les bâtiments industriels sont alors en grande partie démolis ou réaffectés.
Que reste-t-il du complexe industriel et social du temps des Goldenberg ? Des vestiges de bâtiments industriels de différentes époques, des alignements de maisons ouvrières, la villa patronale qui domine le site. Les églises protestantes de Monswiller (1879) et Saverne (1898) témoignent également de l’époque des patrons protestants. La mémoire du lieu survit enfin par l’histoire des générations de familles ouvrières, par les documents d’archive et les outils sauvegardés et par les travaux des historiens.
Départ du parcours
Traverser la voie ferrée. La station Zornhoff, aujourd’hui détruite desservait l’usine. Longez l’aire de jeu « Parc Goldenberg » qui occupe l’emplacement de bâtiment de bureaux. Franchissez le pont qui surplombe le canal usinier
Emprunter le passage piéton pour vous diriger vers la passerelle qui enjambe le canal de la Marne. De là, vue sur le Schloessel ou villa Christmann. Le bâtiment est propriété privée. La visite extérieure est tolérée aux horaires d’ouverture de l’entreprise horticole Halbwachs.
La villa a été construite vers 1860 par l’architecte d’arrondissement Aloyse Maestlé pour Alfred Goldenberg et son épouse née Emma Christmann.
Le bâtiment est de plan rectangulaire, comprend un sous-sol voûté en berceau, un rez de chaussée surélevé et un étage sur cordon. La toiture percée de mansardes était anciennement couverte d’ardoises. Devant les grandes façades, des perrons donnent accès à des portes pratiquées dans les travées centrales construites en faible saillie et couronnées de frontons cintrés. Le grès est apparent pour les perrons, les encadrements de baies, les chaînes d’angle et les travées centrales.
Le décor sculpté est riche, notamment aux linteaux des deux portes et des baies ainsi qu’aux allèges des fenêtres. La villa, une belle réalisation de l’architecture civile de la région au milieu du 19ème siècle, était précédée d’un parc aux parterres dessinés en courbes régulières. (voir photos n°2 et n°3)
Revenir sur ses pas et emprunter la Rue du Zornhoff qui mène du village vers le site industriel.
En face de l’hôtel « Formule un », qui a pris la place de la caserne des pompiers du temps de Goldenberg, se trouve une stèle en pierre, le monument souvenir du bombardement du 19 novembre 1944
La stèle du bombardement.
C’est un monument en grès commémorant le bombardement allié du 19 novembre 1944 visant le site industriel hébergeant les ateliers consacrés à la fabrication d’équipements militaires. On dénombrera 29 victimes dont 3 femmes et 2 enfants. De nombreux bâtiments ont été détruits dont la maison appelée « maison du prévôt » où habitait Gustave Goldenberg lorsqu’il dirigeait l’usine. Ce monument qui se trouvait au départ à l’endroit du bombardement contre le mur d’enceinte du côté du canal, a été déplacé. (voir photos n°4 et n°5)
Poursuivre sur la rue du Zornhoff sur environ 200 m, remarquer la rue bordée de bâtiments industriels remontant pour la plupart aux années 1960 et 1970.
A remarquer une enseigne « Esjot Goldenberg » dont le nom évoque le fondateur.
Après un virage à droite, poursuivre et prendre la 1ère rue vers la gauche, la rue du Baron Chouard. Longer le canal usinier sur votre gauche.
Un modeste canal, dit canal des usines ou usinier, dérive de la rivière Zorn au champ de foire de Saverne, coule parallèlement à la rue du Zornhoff, traverse le site industriel de part en part et rejoint la Zorn en aval de Monswiller.
On conçoit difficilement son importance passée.
Creusé au 18ème siècle, le canal alimenté en eau par la Zorn comprenait des chutes d’eau qui fournissaient une force motrice gratuite à des moulins et autres tournants aménagés sur son cours. Ce canal usinier faisait tout l’intérêt du site entre Saverne et le Zornhoff
Au milieu du 19ème siècle, le débit du canal usinier s’avère insuffisant, par suite de la mise en eau du canal de la Marne au Rhin. Gustave Goldenberg est contraint de recourir à la machine à vapeur Le canal usinier, aujourd’hui utilisé par les riverains pour l’arrosage de leurs jardins, reste un témoin des débuts de l’industrialisation. (voir photo n°6)
En face du canal usinier se trouve la forge de 1950. Se placer en face.
La forge a été rénovée dans les années 1950. Elle servait à façonner les métaux. Le bruit y était infernal. Les ouvriers y travaillaient de 4h du matin jusqu’à 14h et d’autres de 14h à 23h.Ils venaient souvent d’autres villages. Goldenberg avait des camionnettes et des chauffeurs qui effectuaient un ramassage. Une centrale à vapeur construite en 1910, procurait l’énergie à la forge mais elle a été détruite dans les années 70. (voir photos n°7,8 et 9)
Longer les bâtiments sur votre gauche et dirigez-vous vers le parking Eurorépare/ Le garage du Zornhoff
Au fond du terrain qui se trouve sur votre droite, se trouve un bâtiment très ancien, appelé la Synagogue, qui au fil des années a servi de forge, de fabrique de limes et d’autres outils. A l’arrière de cette synagogue, des restes du mur d’enceinte qui entourait l’usine sont encore visible.
Un plan de 1912, précise la destination de 50 bâtiments éparpillés dans l’enceinte de l’usine. Trois cheminées dominent l’ensemble des ateliers de dimensions réduites à l’exception de la forge. Le plan indique la présence de 5 maisons d’habitations. L’usine était un grand village animé.
Aujourd’hui, devant vous, trois ateliers parallèles sont encore visibles, leur usage a évolué au fil des ans mais selon les plans de 1920, on sait que :
Le bâtiment rose, daté de 1920 (toit bleu) servait à la fabrication des limes.
Le bâtiment blanc, daté de 1922 servait à l’aiguisage et au polissage, une meule de 5 mètres permettaient ce travail.
Dans le bâtiment gris à toit bleu, on fabriquait des tenailles, des tournevis, des ciseaux à bois… dans le bâtiment au toit bleu et diverses choses dans les deux autres. (voir photos n°10,11,12,13 et 14)
En se retournant, on découvre « House of cars ». S’y trouvait le vestiaire de la menuiserie. A l’arrière, on aperçoit un bâtiment qui a gardé sa forme à shed initiale, la maçonnerie d’origine est encore conservée sous l’isolant. Il s’agit fort probablement du bâtiment le plus ancien conservé aujourd’hui. Les ouvriers y fabriquaient des rabots, des ciseaux à bois et les manches en bois. On y effectuait aussi le vernissage du bois. Sur la photo « hangar à bois et menuiserie » on aperçoit une petite maison qui servait au fumage du bois pour lui donner la bonne teinte.(voir photo n°15)
A l’arrière de ce bâtiment, se trouve un grand hangar ouvert où l’on stockait le bois. Au temps de Goldenberg, il y avait deux hangars, mais l’un a brûlé. Le bois était transporté par des wagonnets. A côté de la menuiserie, Goldenberg avait implanté une scierie qui a disparu après la 2ème guerre mondiale. ( voir photo n°16)
Revenez sur vos pas jusqu’à l’intersection entre la Rue du Baron Chouard et la rue du Zornhoff De là, prendre à gauche et longer la voie de chemin de fer sur environs 150 m. La friche qui se trouve sur votre gauche regroupait anciennement des bureaux et des hangars.
An début du 20e siècle, la direction de l’usine poursuivit le développement de l’action sociale de l’entreprise en organisant et négociant au meilleur prix un approvisionnement de denrées et biens essentiels au bénéfice de ses salariés.
Une coopérative de consommation fut créée. Les employés devaient s’affilier à cette coopérative pour bénéficier de ses avantages
La distribution s’effectuait dans deux bâtiments construits spécifiquement en 1909
- Une épicerie qui vendait des produits alimentaires mais également de la mercerie et un rayon chaussure. [Bâtiment jaune]
- Une boulangerie avec un impressionnant four à vapeur, très innovant pour l’époque, permettait au boulanger de cuire pains et pâtisseries [bâtiment blanc en face de la coopérative, aujourd’hui transformé en habitation] ( voir photos n° 17,18 et 19)
Poursuivez la rue du Zornhoff et observez la succession de maisons ouvrières
Au 19ème siècle, le patronat se préoccupe du sort du monde ouvrier comme en témoigne l’apparition de rues rectilignes où s’alignent les maisons « Goldenberg ». D’après leur importance, il est facile de distinguer celle de l’ouvrier ou celle du chef d’équipe voire du contremaître. Mais toutes, sans exception, possèdent leur lopin de terre avec en plus un réduit destiné au petit bétail. Alfred Goldenberg, le fils, favorise l’accession à la propriété en permettant le paiement à crédit par retenue sur le salaire.
Les maisons les plus anciennes sont observables au fond de la venelle située entre le 20 et le 17 rue du Zornhoff. Il s’agit d’une voie privée à respecter. Une de ces maisons a été déplacée et reconstituée à l’écomusée d’Ungersheim. (voir photos n°20,21,22 et 23)
Poursuivre rue du Zornhoff, passer sous la voie de chemin de fer et se rendre au 28 de la rue du Zornhoff
Cette maison est construite à l’emplacement exact du premier oratoire protestant.
Vous remarquez les colonnes de part et d’autre de la porte d’entrée, elles proviennent de l’oratoire construit entre Monswiller et Saverne sur un terrain appartenant à l’industriel Goldenberg.
A ces débuts, il s’agit non d’une église avec un clocher mais bien d’un oratoire muni d’un simple campanile. De dimension modeste, sa localisation illustre les deux facteurs à l’origine d’une communauté protestante dans un secteur, haut-lieu catholique. Le bâtiment est l’œuvre d’Aloyse Maestlé, architecte d’arrondissement. Erigé entre 1845 et 1847, il est inauguré en 1847. Cet oratoire facilite la création de la paroisse protestante de Saverne.
A la suite de la construction des églises de Monswiller et de Saverne, l’oratoire est désaffecté puis démoli.(voir photos n°24 et 25)
Poursuivre sur 50 m la rue du Zornhoff. Au bout de la rue, sur la gauche, ouverture sur une cour avec des bâtiments industriels reconvertis en logements, il s’agissait d’une ancienne aiguiserie.
Le dessin figure un établissement industriel entre tradition (roues de moulins, bâtiments ruraux) et modernité (cheminée d’usine, voie ferrée). L’oratoire protestant jouxte l’usine.
En 1842, Gustave Goldenberg crée à Saverne, en amont de son établissement du Zornhoff, une aiguiserie pour la fabrication d’outils tranchants et de limes. Elle se compose de trois petites usines (dont un ancien moulin à farine et chanvre) alimentées par la force motrice du canal usinier. En 1866, une machine à vapeur est installée sur le site. (voir photos n°26 et 27)
Traverser le champ de foire (ancien emplacement du canal de plaisance du Château des Rohan) jusqu’à la rue de l’orangerie. De là se rendre sur le port, et face au château, suivre le canal de la Marne au Rhin sur la gauche, il vous ramènera vers Monswiller par le chemin de halage.
Après le 3e lampadaire après le pont sur la gauche, remarquer l’ancienne blanchisserie
L’ancienne blanchisserie (Bleich) appartient aujourd’hui à des privés mais servait autrefois à loger des ouvriers. Goldenberg les avait rachetés, pour l’accès au canal usinier et la terre des jardins très fertile. (voir photo n°28)
Poursuivez sur 1,5 km le chemin de halage le long du canal de la Marne au Rhin construit en 1842. A l’approche du pont, emprunter le chemin qui le contourne par la gauche. Le passage sous le pont est trop étroit et risqué à emprunter.
Le long bâtiment blanc à shed que vous voyez sur votre droite de l’autre côté du canal est celui de l’usine de fabrication de brouettes Haemmerlin.
Dépasser l’entreprise actuelle Bonnet et fils et observer les vestiges du mur d’enceinte qui fermait l’ensemble de l’usine.(voir photo n°29)
En longeant le canal, l’on peut apercevoir un grand pan du mur d’enceinte qui fermait l’usine du Zornhoff. Deux passages contrôlaient strictement l’entrée mais surtout la sortie du personnel. Du côté du canal une ouverture fut aménagée dans le mur d’enceinte à hauteur des anciens ateliers. Cette ouverture permettait un accès direct au canal de la Marne au Rhin qui devait faciliter une part de l’approvisionnement mais également permettre le transport de la production de l’usine.
Toutefois, la Direction, longtemps défiante vis-à-vis du canal qui captait l’eau et réduisait la productivité du canal usinier, n’a pas pleinement saisi l’opportunité logistique que représentait le canal. (voir photo n°30)
Le chemin de halage vous ramène à la Villa Christmann d’où vous pourrez revenir sur le parking. Vous pouvez compléter ce circuit par deux extensions hors circuit.
Sur la gauche, vers le centre de Monswiller : Un regard vers l’église protestante dont vous apercevez le clocher
L’église protestante de Monswiller de style néo-gothique a été construite en 1878 et inaugurée en 1879 à l’initiative d’Alfred Goldenberg. La Société a offert une subvention et le terrain de la construction. « Mon devoir ne se limite pas à procurer des bénéfices à mes associés, mais également à pourvoir aux besoins matériels et spirituels de mes ouvriers » : Goldenberg voulait que les personnels protestants de son entreprise disposent d’un lieu de culte proche et d’une paroisse autonome. Le Kaiser Guillaume 1er a donné son accord pour l’érection de cette église de la confession d’Augsbourg. On peut toujours voir deux dédicaces au fond de l’église sur l’une d’entre-elles, l’empereur autorise la construction de cette église et sur l’autre, les remerciements des paroissiens de Monswiller. (voir photos n° 31 et 32)
Revenir à Saverne et stationner sur le parking des Dragons
Une église fut érigée hors les murs de la cité épiscopale en 1896 sur un terrain de 35 ares offert par un paroissien et inaugurée en 1897.
Le presbytère attenant fut agrandi par la suite et un foyer paroissial remplaça le potager. (voir photo n°33)
Stationner place St Nicolas
L’obélisque de pierre est bien visible à gauche au fond du cimetière.
C’est là que repose Gustave Goldenberg mort à Paris en 1871, après s’y être installé, de santé déjà fragile, à la suite de l’onde de choc provoquée par l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne en 1870. Il suivra de là jusqu’à son décès quelques mois plus tard, les arrangements douaniers concernant l’Alsace. Ce fut un retour dans la capitale après une courte députation en 1849 car naturalisé français sur sa demande depuis 1839.
Après un accueil solennel en gare de Saverne et une oraison funèbre célébrée à l’oratoire de la rue du Zornhoff, sa dépouille accompagnée d’une foule immense fut inhumée aux côtés de sa fille Pauline. (voir photo n°34)